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L’ÉCLAT D’OBUS

peut-être moins que la mort cherchait-il désormais cette ivresse ineffable que l’on éprouve à la braver.

Et la journée du 6 septembre arriva ; la journée du miracle inouï où le grand chef, lançant à ses armées d’immortelles paroles, enfin leur ordonna de se jeter sur l’ennemi. La retraite si vaillamment supportée, mais si cruelle, se terminait. Épuisés, à bout de souffle, luttant un contre deux depuis des jours, n’ayant pas le temps de dormir, n’ayant pas le temps de manger, ne marchant que par le prodige d’efforts dont ils n’avaient même plus conscience, ne sachant pas pourquoi ils ne se couchaient point dans le fossé des routes pour y attendre la mort… c’est à ces hommes-là que l’on dit : « Halte ! Demi tour ! Et maintenant droit à l’ennemi ! »

Et ils firent demi-tour. Ces moribonds retrouvèrent la force. Du plus humble au plus illustre, chacun tendit sa volonté et se battit comme si le salut de la France eût dépendu de lui seul. Autant de soldats, autant de héros sublimes. On leur demandait de vaincre ou de se faire tuer. Ils furent victorieux.

Parmi les plus intrépides, Paul brilla au premier rang. Ce qu’il fit et ce qu’il supporta, ce qu’il tenta et ce qu’il réussit, lui-même il avait conscience que cela dépassait les bornes de la réalité. Le 6, le 7 et le 8, puis du 11 au 13, malgré l’excès de la fatigue et malgré des privations de sommeil et de nourriture auxquelles on n’imagine pas qu’il soit humainement possible de résister, il n’eut aucune autre sensation que d’avancer, et d’avancer encore, et d’avancer toujours. Que ce fût dans l’ombre ou sous la clarté du soleil, sur les bords de la Marne ou dans