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L’ÉCLAT D’OBUS
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— Je m’y rendrai.

Paul salua, pivota sur les talons, et, avant même que les officiers eussent le temps de l’approuver ou d’émettre une objection, il se glissait en courant au ras du talus, s’engageait à gauche dans une sorte de cavée dont les bords étaient hérissés de ronces, et disparaissait.

— Drôle de type, murmura le colonel. Où veut-il en venir ?

Une telle décision et une telle audace le disposaient en faveur du jeune soldat et, bien qu’il n’eût qu’une confiance assez restreinte dans le résultat de l’entreprise, il lui fut impossible de ne pas consulter plusieurs fois sa montre durant les minutes qu’il passa, avec ses officiers, derrière le frêle rempart d’une meule de foin. Minutes effroyables, où le chef de corps ne pense pas un instant au danger qui le menace, mais au danger de tous ceux dont il a la garde et qu’il considère comme ses enfants.

Il les voyait autour de lui, étendus dans le chaume, la tête couverte de leur sac, ou bien pelotonnés dans les taillis, ou bien tapis dans les creux du sol. L’ouragan de fer s’acharnait après eux. Cela se précipitait comme une grêle rageuse qui veut accomplir en toute hâte sa besogne de destruction. Soubresauts d’hommes qui font une pirouette et qui retombent immobiles, hurlements de blessés, cris de soldats qui s’interpellent, plaisanteries même… Et par là-dessus le tonnerre ininterrompu des explosions…

Et puis subitement le silence, un silence total, définitif, un apaisement infini dans l’espace et sur le sol, une sorte de délivrance ineffable.