Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1916.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
L’ÉCLAT D’OBUS
29

poings. C’est elle… je la reconnais… C’est elle qui a tué…

Un sursaut de révolte secoua la jeune femme, et se frappant violemment la poitrine :

— Ma mère ! ma mère à moi aurait tué… ma mère ! celle que mon père adorait et qu’il n’a pas cessé d’adorer !… ma mère qui me berçait autrefois et qui m’embrassait ! J’ai tout oublié d’elle, mais pas cela, pas l’impression de ses caresses et de ses baisers ! Et c’est elle qui aurait tué !

— C’est elle.

— Ah ! Paul, ne dites pas une telle infamie ! Comment pouvez-vous affirmer, si longtemps après le crime ? Vous n’étiez qu’un enfant et, cette femme, vous l’avez si peu vue !… à peine quelques minutes.

— Je l’ai vue plus qu’on ne peut voir, s’exclama Paul avec force. Depuis l’instant du crime son image ne m’a pas quitté. J’aurais voulu m’en délivrer parfois, comme on veut se délivrer d’un cauchemar. Je n’ai pas pu. Et c’est cette image qui est là contre ce mur. Aussi sûrement que j’existe, la voilà, je la reconnais comme je reconnaîtrais votre image après vingt ans ! C’est elle… Tenez, mais tenez, à son corsage, cette broche entourée d’un serpent d’or… Un camée ! ne vous l’ai-je pas dit ! Et les yeux de ce serpent… des rubis ! Et le fichu de dentelle noire autour des épaules ! C’est elle ! c’est la femme que j’ai vue !

Une fureur croissante le surexcitait, et il menaçait du poing le portrait d’Hermine d’Andeville.

— Tais-toi, s’écria Élisabeth, que torturait chacune de ses paroles, tais-toi, je te défends…