Il était six heures et demie lorsqu’ils aperçurent au bas du perron la femme de Jérôme, Rosalie, une bonne grosse mère aux joues couperosées et à l’aspect réjouissant. En hâte, avant le dîner, ils firent le tour du jardin, puis visitèrent le château.
Élisabeth ne contenait pas son émoi. Quoique nul souvenir ne pût l’agiter, il lui semblait néanmoins retrouver quelque chose de cette mère qu’elle avait si peu connue, dont elle ne se rappelait pas l’image, et qui avait vécu là ses dernières journées heureuses. Pour elle, l’ombre de la défunte cheminait au détour des allées. Les grandes pelouses vertes dégageaient une odeur spéciale. Les feuilles des arbres frissonnaient à la brise avec un murmure qu’elle croyait bien avoir perçu déjà en cet endroit même, aux mêmes heures, et tandis que sa mère l’écoutait auprès d’elle.
— Vous paraissez triste, Élisabeth ? demanda Paul.
— Triste non, mais troublée. C’est ma mère qui nous accueille ici, dans ce refuge où elle avait rêvé de vivre et où nous arrivons avec le même rêve. Et alors un peu d’inquiétude m’oppresse. C’est comme si j’étais une étrangère, une intruse qui dérange de la paix et du repos. Pensez donc ! Il y a si longtemps que ma mère habite ce château. Elle y est seule. Mon père n’a jamais voulu y venir, et je me dis que nous n’avons peut-être pas le droit d’y venir, nous, avec notre indifférence à ce qui n’est pas nous.
Paul sourit :
— Élisabeth, amie chérie, vous éprouvez tout simplement cette impression de malaise