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L’ÉCLAT D’OBUS
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Paul reprit sa place en avant, sur le côté de la table, et debout. Et il dit gravement :

— Nous ne sommes pas des juges, en effet, et nous ne voulons pas prendre un droit qui ne nous appartient pas. Ceux qui vous jugeront, les voici. Moi, j’accuse.

Le mot fut articulé d’une façon âpre et coupante, avec une énergie extrême.

Et tout de suite, sans hésitation, comme s’il eût bien établi d’avance tous les points du réquisitoire qu’il allait prononcer, et prononcer d’un ton où il ne voulait montrer ni haine ni colère, il commença :

— Vous êtes née au château de Hildensheim, dont votre grand-père était régisseur et qui fut donné à votre père après la guerre de 1870. Vous vous appelez réellement Hermine, Hermine de Hohenzollern. Ce nom de Hohenzollern, votre père s’en faisait gloire, bien qu’il n’y eût pas droit, mais la faveur extraordinaire que lui marquait le vieil empereur empêcha qu’on le lui contestât jamais. Il fit la campagne de 70 comme colonel, et s’y distingua par une cruauté et une rapacité inouïes. Toutes les richesses qui ornent votre château de Hildensheim proviennent de France et, pour comble d’effronterie, sur chaque objet se trouve une note qui établit son lieu d’origine et le nom du propriétaire à qui il fut volé. En outre, dans le vestibule, une plaque de marbre porte en lettres d’or le nom de tous les villages français brûlés par ordre de Son Excellence le colonel comte de Hohenzollern. Le kaiser est venu souvent dans ce château. Toutes les fois qu’il passe devant la plaque de marbre, il salue.

La comtesse écoutait distraitement. Cette