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L’ÉCLAT D’OBUS

L’image de l’empereur. Et l’image… l’image de la femme qui tua.

Paul avait baissé la voix. La douleur et la haine contractaient son visage.

— Oh ! celle-là, je vivrais cent ans que je la verrais devant mes yeux comme on voit un spectacle dont tous les détails sont en pleine lumière. La forme de sa bouche, l’expression de son regard, la nuance de ses cheveux, le caractère spécial de sa marche, le rythme de ses gestes, le dessin de sa silhouette, tout cela est en moi, non pas comme des visions que j’évoque à volonté, mais comme des choses qui font partie de mon être lui-même. On croirait que, pendant mon délire, toutes les forces mystérieuses de mon esprit ont travaillé à l’assimilation complète de ces souvenirs odieux. Et si, aujourd’hui, ce n’est plus l’obsession maladive d’autrefois, c’est une souffrance à certaines heures, quand le soir tombe et que je suis seul. Mon père a été tué, et celle qui l’a tué vit encore, impunie, heureuse, riche, honorée, poursuivant son œuvre de haine et de destruction.

— Vous la reconnaîtriez, Paul ?

— Si je la reconnaîtrais ? Entre mille et mille femmes ! Et fût-elle transformée par l’âge, je retrouverais sous les rides de la vieille femme le visage même de la jeune femme qui assassina mon père, une fin d’après-midi du mois de septembre. Ne pas la reconnaître ! Mais la couleur même de sa robe, je l’ai notée ! N’est-ce pas incroyable ? une robe grise avec un fichu de dentelle noire autour des épaules, et là, au corsage, en guise de broche, un lourd camée encadré d’un serpent d’or dont les yeux étaient