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L’ÉCLAT D’OBUS

jamais ces noms de douleur et d’humiliation qui sont : Frœschwiller, Mars-la-Tour, Saint-Privat, et tant d’autres ! N’oublie pas, Paul…

« Puis il souriait.

« — Mais pourquoi m’inquiéter ? C’est lui-même qui se chargera d’éveiller la haine au cœur de ceux qui ont oublié et de ceux qui n’ont pas vu. Est-ce qu’il peut changer, lui ? Tu verras Paul, tu verras. Tout ce que je puis te dire ne vaut pas l’effroyable réalité. Ce sont des monstres. »

Paul Delroze s’était tu. Sa femme lui demanda, d’une voix un peu timide :

— Pensez-vous que votre père avait tout à fait raison ?

— Mon père était peut-être influencé par des souvenirs trop récents. J’ai beaucoup voyagé en Allemagne, j’y ai même séjourné, et je crois que l’état d’âme n’est plus le même. Aussi, je l’avoue, j’ai quelquefois du mal à comprendre les paroles de mon père… Cependant… cependant elles me troublent très souvent. Et puis, ce qui s’est passé par la suite est si étrange !

La voiture avait ralenti. La route s’élevait doucement vers les collines qui surplombent la vallée du Liseron. Le soleil penchait du côté de Corvigny. Une diligence les croisa, chargée de malles, puis deux automobiles où s’entassaient les voyageurs et les colis. Un piquet de cavalerie galopait à travers les champs.

— Marchons, dit Paul Delroze.

Ils suivirent à pied la voiture et Paul reprit :

— Ce qui me reste à vous dire, Élisabeth, se présente à ma mémoire en détails très précis, qui émergent en quelque sorte d’une brume épaisse où je ne distingue rien. À peine puis-je