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L’ÉCLAT D’OBUS

Bernard hocha la tête et dit avec douceur :

— Mon pauvre Paul !

— Quoi ? Que signifie ?…

— Cela signifie que j’aurais été le premier à t’approuver, et que nous aurions marché ensemble au secours d’Élisabeth. Les risques, ça ne compte pas. Par malheur…

— Par malheur ?

— Eh bien voilà, Paul. On renonce de ce côté à une offensive plus vigoureuse. Des régiments de réserve et de territoriale sont appelés. Quant à nous, nous partons.

— Nous partons ? balbutia Paul, atterré.

— Oui, ce soir. Ce soir même notre division s’embarque à Corvigny et nous filons je ne sais où… Reims peut-être, ou Arras. Enfin l’Ouest, le Nord. Tu vois, mon pauvre Paul, que ton projet n’est pas réalisable. Allons, sois courageux. Et ne prends pas cet air de détresse. Tu me crèves le cœur… Voyons, quoi, Élisabeth n’est pas en danger… Elle saura se défendre…

Paul ne répondit pas un seul mot. Il se rappelait cette phrase abominable du prince Conrad, rapportée dans le journal d’Élisabeth : « C’est la guerre… C’est le droit, c’est la loi de la guerre ». Cette loi, il en sentait peser sur lui le poids formidable, mais il sentait en même temps qu’il la subissait dans ce qu’elle a de plus noble et de plus exaltant, le sacrifice individuel à tout ce qu’exige le salut de la nation.

Le droit de la guerre ? Non. Le devoir de la guerre, et un devoir si impérieux qu’on ne le discute point, et qu’on ne doit même pas, si implacable qu’il soit, laisser palpiter, dans le