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L’ÉCLAT D’OBUS
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ment et à faire de moi un gars solide et courageux. L’été, nous allions au bord de la mer ; l’hiver dans les montagnes de Savoie, sur la neige et sur la glace. Je l’aimais de tout mon cœur. Aujourd’hui encore, je ne puis songer à lui sans une émotion réelle.

« À onze ans, je le suivis dans un voyage à travers la France, qu’il avait retardé depuis des années parce qu’il voulait que je l’accomplisse avec lui, et seulement à l’âge où j’en pourrais comprendre toute la signification. C’était un pèlerinage aux lieux mêmes et sur les routes où il avait combattu jadis, durant l’année terrible.

« Ces journées, qui devaient se terminer par la plus affreuse catastrophe, m’ont laissé des impressions profondes. Aux bords de la Loire, dans les plaines de la Champagne, dans les vallées des Vosges, et surtout parmi les villages de l’Alsace, quelles larmes j’ai versées en voyant couler les siennes ! De quel espoir naïf j’ai palpité en écoutant ses paroles d’espoir !

« — Paul, me disait-il, je ne doute pas qu’un jour ou l’autre tu ne te trouves en face de ce même ennemi que j’ai combattu. Dès maintenant, et malgré toutes les belles phrases d’apaisement que tu pourras entendre, hais-le de toute ta haine, cet ennemi. Quoi qu’on dise, c’est un barbare, une brute orgueilleuse, un homme de sang et de proie. Il nous a écrasés une première fois, il n’aura de cesse qu’il ne nous ait écrasés encore, et définitivement. Ce jour-là, Paul, rappelle-toi chacune des étapes que nous parcourons ensemble. Celles que tu suivras seront des étapes de victoire, j’en suis sûr. Mais n’oublie pas un instant les noms de celles-ci, Paul, et que ta joie de triompher n’efface