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L’ÉCLAT D’OBUS
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pour ainsi dire de la voir mourir sous ses yeux.

En dehors de cette réalité, rien ne valait une pensée ni un effort. Et, défaillant, engourdi par une lâcheté soudaine, les yeux fixés sur le journal où la malheureuse avait noté les phases du supplice le plus cruel qu’il fût possible d’imaginer, il se sentait peu à peu glisser vers un immense besoin d’anéantissement et d’oubli. Élisabeth l’appelait. À quoi bon lutter maintenant ? Pourquoi ne pas la rejoindre ?


Quelqu’un lui frappa sur l’épaule. Une main saisit le revolver qu’il tenait, et Bernard lui dit :

— Laisse cela tranquille, Paul. Si tu juges qu’un soldat a le droit de se tuer actuellement, je t’en laisserai libre tout à l’heure, lorsque tu m’auras écouté…

Paul ne protesta pas. La tentation de la mort l’avait effleuré, mais à son insu presque. Et bien qu’il y eût succombé peut-être, en un moment de folie, il était encore dans cet état d’esprit où l’on reprend vite conscience.

— Parle, dit-il.

— Ce ne sera pas long. Trois minutes d’explications tout au plus. Écoute.

Et Bernard commença :

— Je vois, d’après l’écriture, que tu as retrouvé un journal rédigé par Élisabeth. Ce journal confirme bien ce que tu savais ?

— Oui.

— Élisabeth, quand elle l’a écrit, était bien menacée de mort ainsi que Jérôme et Rosalie ?

— Oui.

— Et tous trois ont été fusillés le jour même où nous arrivions toi et moi à Corvigny, c’est-à-dire le mercredi 16 ?