Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1916.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
L’ÉCLAT D’OBUS

— Comme je vous l’ai dit, Élisabeth, l’épisode se rattache à un drame terrible, et si étroitement que cela ne fait, et ne peut faire qu’un dans mon souvenir. Ce drame, on en a beaucoup parlé à l’époque, et votre père, qui était un ami de mon père, comme vous le savez, en eut connaissance par les journaux. S’il ne vous en a rien dit, c’est sur ma demande, et parce que je voulais être le premier à vous raconter ces événements… si douloureux pour moi.

Leurs mains s’unirent. Il savait que chacune de ses phrases serait accueillie avec ferveur, et, après un silence, il reprit :

— Mon père était un de ces hommes qui forcent la sympathie, même l’affection, de tous ceux qui les approchent. Enthousiaste, généreux, plein de séduction et de bonne humeur, s’exaltant pour toutes les belles causes et pour tous les beaux spectacles, il aimait la vie et en jouissait avec une sorte de hâte.

« En 70, engagé volontaire, il avait gagné sur les champs de bataille ses galons de lieutenant, et l’existence héroïque du soldat convenait si bien à sa nature qu’il s’engagea une seconde fois pour combattre au Tonkin, et une troisième fois pour aller à la conquête de Madagascar.

« C’est au retour de cette campagne, d’où il revint capitaine et officier de la Légion d’honneur, qu’il se maria. Six ans plus tard il était veuf.

« Lorsque ma mère mourut, j’avais à peine quatre ans, et mon père m’entoura d’une tendresse d’autant plus vive que la mort de sa femme l’avait frappé cruellement. Il tint à commencer lui-même mon éducation. Au point de vue physique, il s’ingéniait à développer mon entraîne-