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L’ÉCLAT D’OBUS

battus à Morhange, battus partout. Ils reculent sur toute la ligne. Le sort de la guerre est réglé.

« Si violente que soit ma douleur, je ne bronche pas, mes yeux le défient, et je murmure :

« — Goujat !

« Il a chancelé. Ses compagnons ont entendu, et j’en vois un qui porte la main à la garde de son épée. Mais lui, que va-t-il faire ? Que va-t-il dire ? On sent qu’il est fort embarrassé et que son prestige est atteint.

« — Madame, dit-il, vous ignorez sans doute qui je suis ?

« — Mais non, monsieur. Vous êtes le prince Conrad, un des fils du kaiser. Et après ?

« Nouvel effort de dignité. Il se redresse. J’attends les menaces et l’expression de sa colère ; mais non, c’est un éclat de rire qui me répond, un rire affecté de grand seigneur insouciant, trop dédaigneux pour s’offusquer, trop intelligent pour prendre la mouche.

« — Petite Française ! Est-elle assez charmante, messieurs ! Avez-vous entendu ? Quelle impertinence ! C’est la Parisienne, messieurs, avec toute sa grâce et toute son espièglerie.

« Et, me saluant d’un geste large, sans un mot de plus, il s’en alla en plaisantant :

« — Petite Française ! Ah ! messieurs, ces petites Françaises !…


Jeudi 27 août.

« Toute la journée, déménagement. Les camions roulent vers la frontière, surchargés de butin.

« C’était le cadeau de noce de mon pauvre père, toutes ses collections si patiemment et si amoureusement acquises, et c’était le décor