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L’ÉCLAT D’OBUS
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Le journal recommençait au milieu d’une feuille déchirée, la feuille du mardi 25.

« … Oui, Rosalie, je me sens tout à fait bien et je vous remercie de la façon dont vous m’avez soignée.

« — Alors, plus de fièvre ?

« — Non, Rosalie, c’est fini.

« — Madame me disait déjà cela hier et la fièvre est revenue… peut-être à cause de cette visite… Mais cette visite n’aura pas lieu aujourd’hui… Demain seulement… J’ai reçu l’ordre d’avertir Madame… Demain à cinq heures…

« Je n’ai pas répondu. À quoi bon se révolter ? Aucune des paroles humiliantes que je devrai entendre ne me fera plus de mal que ce qui est là sous mes yeux : la pelouse envahie, des chevaux au piquet, des camions et des caissons dans les allées, la moitié des arbres abattus, des officiers vautrés sur le gazon, qui boivent et qui chantent, et, juste en face de moi, accroché au balcon même de ma fenêtre, un drapeau allemand. Ah ! les misérables !

« Je ferme les yeux pour ne pas voir. Et c’est plus horrible encore… Ah ! le souvenir de cette nuit… et ce matin, quand le soleil s’est levé, la vision de tous ces cadavres. Il y avait de ces malheureux qui vivaient encore et autour desquels les monstres dansaient, et je percevais les cris des agonisants qui suppliaient qu’on les achevât.

« Et puis… et puis… Mais je ne veux plus y penser et ne plus penser à rien de ce qui peut détruire mon courage et mon espoir.

« Paul, c’est en songeant à toi que j’écris ce journal. Quelque chose me dit que tu le liras,