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L’ENTHOUSIASME

Je fermai l’album en rougissant. Mme Landol était derrière moi.

— Non… je ne sais pas… J’ai ouvert cela machinalement… rien ne prouve…

— En tout cas vous l’avez aimée. Non ? pourquoi vous défendre ? Qu’y a-t-il au-dessus de l’amour ?

De quelle voix vibrante elle dit ces dernières paroles ! et comme elles sonnaient étrangement en la bouche de cette amie de ma mère ! Je fus gêné par l’insistance de ces yeux rivés aux miens, de beaux yeux gris qui me rappelaient ceux de Geneviève.

— Vous pensez à elle, Pascal ?

— Mais non, je vous jure…

— Alors… alors… souvenez-vous… de vos visites au sortir du collège…, vous me prêtiez plus d’attention… un jour vous avez pleuré dans mes bras.

— Oui, je me souviens.

Se penchant, elle murmura.

— Je voudrais savoir… répondez-moi franchement… m’avez-vous aimée ?

Je sentis en elle la prière ardente de quelqu’un qui sollicite un mot secourable, l’appréhension de la femme qui fut belle et qui veut l’être encore, du chagrin, des regrets. Mon cœur se serra. N’avait-elle point connu l’amour ? ou, l’ayant connu, se désespérait-elle de ne plus l’inspirer ? Des fils d’argent se mêlaient à ses cheveux bruns. Des rides fines rayaient sa peau. Je crus voir une larme.