Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
L’ENTHOUSIASME

une couronne de cheveux blancs, pas de barbe, un air de bonhomie distraite et quelques verrues. Je compris bientôt à quel point les petites affaires sensuelles d’une femme devaient être indifférentes à un tel mari, et combien il demeurait peu accessible aux lois les plus sommaires de l’honorabilité. Du reste, à quoi pensait-il et de quoi parlait-il en dehors de l’ouvrage qu’il préparait depuis vingt ans, et des questions scientifiques et philosophiques que soulevait ce travail ?

Armande l’écoutait pieusement. Je subis la contagion de ce respect et m’intitulai le disciple du vieux professeur, dont les opinions correspondaient aux miennes. Ces opinions M. Berthier les exposa, le long des soirs d’hiver : c’était la doctrine des matérialistes allemands, Buchner, Hæckel, etc. Elle plaît par sa simplicité ingénue et par l’explication très suffisante qu’elle donne de tous les problèmes. Il n’y a aucune raison pour ne point s’en tenir là. Ainsi du moins faisait M. Berthier. Il niait de la façon la plus affirmative, et l’autorité de sa conviction était une preuve de grand poids dans des questions où il n’y a pas d’autre preuve que la conviction de chacun. L’essentiel est d’être loyal. M. Berthier l’était, Armande aussi, je le fus également. Nos trois certitudes s’étayant les unes les autres, nous percevions au milieu de nous la présence de la vérité.

Je pris feu. Sous la direction du maître, je lus de nombreux livres ; ceux qui partageaient mon avis