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L’ENTHOUSIASME

— Un seul, un officier, cela a duré un mois, il est parti… Mais comme tu es drôle ! tes joues se creusent, tu es tout pâle. Allons, Pascal, ne souffre pas puisque tu ne souffres pas.

— Mais, Armande…

— Non, tu souffres parce que c’est l’habitude en pareil cas, mais si tu voulais, tu ne souffrirais pas… chez toi, c’est affaire de nerfs et d’illusion.

— Tu vas chercher bien loin… moi, je sais que j’ai mal.

Un trouble fugitif rida son calme visage. Toutefois elle ne dit rien.

À vingt ans on est tellement absorbé par ce qui se passe en soi et par le spectacle de la vie, que l’on n’a pas encore cette curiosité qui vous penche vers les autres. On ne se soucie d’eux que dans la mesure où ils vous touchent. Je n’interrogeai plus Armande. Peut-être d’ailleurs, à vivre simplement auprès d’elle, en prenais-je une impression plus exacte qu’à travers le désarroi de réponses brutales. Je sentais une âme un peu sèche, capable d’immolation raisonnée en vue d’un devoir strict comme celui qu’elle remplissait aux côtés de son mari, mais incapable d’élans, d’enthousiasme irréfléchi, de crédulité. Vraiment la femme, en elle, s’effaçait derrière des qualités de décision et de fermeté trop viriles, et ne se montrait jamais en ses attributs ordinaires de séduction, de faiblesse ou de pudeur.

Je fis la connaissance de M. Berthier. Il avait une tête traditionnelle de vieux savant, le crâne chauve,