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L’ENTHOUSIASME

réunir quelques dames, on les accompagne parfois jusque chez elles. Cette existence fut un vrai supplice. Pour rien au monde je ne l’eusse avoué à des camarades qui se délectaient de ces divertissements comme des seuls admissibles, mais je m’ennuyais mortellement, et cela me désolait. D’où provenait mon infériorité ? Pourquoi, à l’encontre de mes amis, si vaillants et couronnés de tant de succès, gardais-je auprès de ces dames une réserve stupide, m’oubliant toujours en des essais de tendresse et de sentiment et, malgré mon envie d’obtenir leurs faveurs, ne me décidant jamais à les solliciter ?

Comme on consent difficilement à être ce que l’on est ! Mon instinct m’ordonnait de rester chez moi ou de me promener dans la campagne, et je me défiais de lui comme d’un mauvais conseiller. Il me semblait que j’avais des devoirs à accomplir au café, et j’y allais la tête basse, n’imaginant pas que je pusse faire un meilleur usage de mon indépendance que de suivre l’exemple des autres. Je savais si bien que dans la vie il n’y a qu’une conduite à tenir, celle de tout le monde. qu’il n’y a de bonnes que les idées communes à tous, de vraies que les vérités coutumières, de recommandables que les plaisirs en honneur à Saint-Jore !

Convaincu de mes torts, je m’acharnais à les combattre. On me rencontrait dans les avant-scènes du théâtre, dans les coulisses du Concert-parisien, au cercle, à la Brasserie Nocturne. Je me démenais,