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L’ENTHOUSIASME

— Grand-père dira ce qu’il voudra, je n’ai aucune aptitude pour les affaires.

— Qui t’empêche de prendre tes inscriptions ? Le droit mène à tout.

— À rien qui me plaise. Alors à quoi bon me bourrer la tête d’un tas de billevesées qui ne me serviraient pas ?

Elle fut très étonnée.

— Tu n’as donc pas l’intention de te mettre au travail ?

— Comment, me mettre au travail ? mais je n’ai fait que cela jusqu’ici ! dix ans de travaux forcés au collège, un an en Angleterre, un an au régiment, il n’y a pas de temps perdu, et j’ai bien droit à un peu de répit.

La perspective de m’atteler à une besogne fixe et de me restreindre encore en des limites quelconques, me devenait tout à coup insupportable. M’attribuant, au ton dont je l’exprimai, une résolution prise depuis longtemps, mère jugea prudent de ne s’y point heurter, et notre conversation en demeura là.

Aussitôt libre, je me ruai vers le plaisir et vers les femmes, comme si je n’avais attendu que ce moment pour me dissiper. Faire la fête constituait, parmi les jeunes gens de mon milieu, le signe de la liberté et l’occupation quotidienne. On se couche à l’aurore, on se lève à midi, on joue au billard et à la manille, on soupe avec des œufs durs et de la bière, et lorsque la bonne fortune permet de