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L’ENTHOUSIASME

mon retour, ma mémoire a gardé peu de traces, malgré l’importance que je leur reconnais maintenant — mais souvent les causes qui influeront sur toute notre vie se forment sous nos yeux sans que nos yeux les voient. Je lus beaucoup, et des livres sérieux, ce à quoi m’incitaient des réunions hebdomadaires chez un étudiant anglais où nous discutions morale et métaphysique, et où je brillais plus par la hardiesse de mes idées que par leur solidité. Je tâchais vaillamment d’y réfléchir afin de les coordonner, d’en masquer les points faibles et de ne point trop me contredire ; mais il faut avouer qu’elles n’avaient guère d’autre cohésion que d’être exactement contraires à toutes celles que l’on m’avait inculquées. Ne croyant plus à la légitimité des règles qui m’importunaient, je ne tardai pas à m’en prendre à tout ce qui s’offrait à moi avec un semblant d’autorité ou de tradition. Sans doute mes croyances d’autrefois n’avaient-elles pas des racines bien profondes ; sans doute, mal appropriées à ma nature, n’étaient-elle pas plus vigoureuses que des plantes semées au hasard dans un terrain hostile, car elles se flétrirent au premier contact. Vénérations héréditaires, fruits d’une saine éducation, principes issus des meilleures provenances, articles de foi et de morale greffés le long d’une enfance exemplaire, tout cela tomba comme des feuilles mortes, par un vent d’automne.

« Il n’y a ni puissance surnaturelle, ni loi sociale. Il y a l’humanité et c’est tout. L’idée de patrie