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L’ENTHOUSIASME

— Il le faut pourtant… tenez, Geneviève, je voudrais embrasser la bague que je vous ai donnée, l’embrasser là où elle est.

Elle entrouvrit son corsage.

— Tout ce que vous voudrez, mon Pascal.

Mais cette caresse nouvelle, au bord de la gorge ignorée, me navra plus que tout.

— Ah ! si j’avais su ! si j’avais su que vous vouliez bien… je vous aurais embrassée déjà… je n’osais pas… c’est plus terrible que tout, cela… Oh ! il fallait me refuser… Dire que j’aurais pu…

J’avais la vision atroce de toutes les joies qu’elle m’eût permises, de tous les baisers inconnus que je perdais. Mon chagrin me parut infini, éternel. Je me tordais les mains.

J’ai sangloté longtemps, étendu à quelques pas d’elle, comme si j’avais eu peur de la toucher. Les racines des arbres me meurtrissaient.

— Je m’en vais, mon chéri… regarde-moi bien…

Elle se tenait penchée sur mon visage.

Il n’y eut jamais, il n’y aura jamais entre un de mes semblables et moi, un regard plus douloureux que celui que nous avons échangé. Deux êtres qui s’aiment et dont l’un va mourir se regardent ainsi.

L’image est là, l’image de sa figure convulsée, de ses paupières gonflées, de ses yeux d’agonisante, et l’image aussi de ma figure à moi dont je devinais le bouleversement.

— Adieu mon chéri, adieu mon chéri, murmura-t-elle.