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L’ENTHOUSIASME

la redouter. La date ne variait pas. Qu’il fit beau ou mauvais, que l’on souhaitât ou non de partir, le premier octobre on fermait le château et l’on regagnait ses quartiers d’hivers. Ainsi en fut-il. Mais le lendemain matin, j’exposais à mère un programme d’excursions méthodiques aux environs de Saint-Jore. Il y a là des sites qu’il est criminel de ne point connaître.

Le collet de mon veston relevé, mon chapeau sur mes yeux, je me faufilai dans un wagon de troisième classe, je descendis à la station qui précède Bellefeuille, je fis à pied une lieue et demie, puis, prenant aux abords du village des précautions de rôdeur, je me glissai sous le couvert d’un petit bouquet de sapins qui dominait la vallée. Geneviève m’y attendait.

Le succès de cette entrevue nous encouragea. Je revins chaque jour, souvent même par le premier train, ce qui nous donnait une partie de la matinée. Trois semaines s’enchainèrent d’un bonheur si continu, si dense, pourrait-on dire, que je n’en saurais détacher le souvenir d’un bonheur particulier. Aucun fait ne subsista. Le bonheur jaillit d’ordinaire par crises, par minutes suprêmes plus ou moins rapprochées. Ces minutes furent la vie elle-même, je vécus en cet état de crise. Les sensations déferlaient en moi comme des vagues hâtives, et quelles sensations pour un enfant de dix-sept ans que ces rendez-vous furtifs, que à ces ruses pour éviter les soupçons, que ces alertes