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L’ENTHOUSIASME

sir s’alliât à ma confusion. L’ombre naissante m’enhardissant, je lui demandai :

— Voulez-vous me rendre ce livre ?

Le bras tendu, l’âme en suspens ; j’attendais sa réponse. Elle s’en alla, emportant le volume.

Vexé d’être traité en collégien à qui l’on confisque un objet défendu, j’estimai digne, le lendemain et le surlendemain, de simuler de sérieuses occupations au village. Une petite crique de la rivière, parmi les roseaux, fut ma retraite. Je m’y ennuyais mortellement. Surtout je ne saisissais pas bien : la raison qui me retenait à cet endroit.

Le troisième jour, je m’arrangeai pour être aperçu de ces dames, au moment de la promenade en voiture. Geneviève m’appela. Sous peine d’impolitesse, ne devais-je pas accourir ?

— Eh bien, Pascal, vous ne vous plaisez donc pas avec nous ? Venez donc, je vous en prie.

Sa voix était câline, elle souriait, elle avait une robe bleue, et j’eus la sensation que le temps n’affaiblirait jamais rien de cette minute, rien du son de sa voix, ni de la lumière de son sourire, ni de le couleur de sa robe, rien non plus des parfums de l’espace ou de l’attitude des arbres voisins. Tous ces détails d’un moment prenaient un caractère inviolable.

Je la suivis ; docile comme un enfant que l’on emporte dans ses bras. Et jusqu’à la fin de la journée je gardai cette inquiétude de ceux qui ont souffert et qui ont peur que leur mal ne recommence.