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L’ENTHOUSIASME

me déchirais avec les tristes syllabes… Geneviève… Geneviève… Mais j’avançais, sans défaillance, la tête haute.

Dans le vestibule, il me dépassa et courut vers la grille, indifférent maintenant aux rencontres de domestiques ou d’employés. Je traversai la cour. Un instant je m’arrêtai devant lui, et je dis :

— Adieu, Philippe.

— Adieu, répondit-il.

Violemment il referma la grille, et j’entendis le bruit sec de la clef dans la serrure.

Je m’en allai par les rues désertes, sans me retourner. Il me semblait qu’il n’y avait plus seulement en moi de la souffrance, de l’amour, de la bonté, de la pitié, de la jalousie, des instincts contraires qui me dévastaient et auxquels je me soumettais tour à tour, mais qu’il y avait au-dessus de tout cela une grande force nouvelle, la force de l’homme qui se décide et qui veut parce qu’il juge que l’heure est venue de se décider et de vouloir. Il ne s’agissait ni de sacrifice ni de résignation, mais de consentement viril à ce que l’on reconnaît juste et nécessaire, de respect devant les arrêts du destin, si cruels qu’ils fussent. Le passé était mort avec toute ma joie et tout mon bonheur : eh bien, je n’avais qu’à vivre vers l’avenir. Il réserve des joies et des bonheurs inépuisables à ceux qui se confient à lui.

Je marchais vaillamment, Mes yeux étaient vides de larmes, et fixes, comme s’ils eussent regardé la