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L’ENTHOUSIASME

l’un ni l’autre n’étions disposés à céder. Philippe se promenait, s’asseyait, se remettait en marche avec des gestes nerveux. Moi, je ne lâchais pas prise, cramponné à mon espoir comme à une épave inattendue. La scène se précisait : en longs vêtements blancs, terrifiante de pâleur, Geneviève ouvrait la porte : « Adieu, lui disais-je, adieu, nous ne nous verrons plus, adieu. » Et nos regards et nos mains et nos âmes s’uniraient pour la vie. Était-ce vraiment se séparer que de se séparer avec le souvenir d’une telle vision ?

La lampe s’éteignit, tandis que l’aube s’essayait aux fenêtres. Des bruits animèrent la ville.

Enfin il me dit :

— Tu le veux ? Si je refuse, tu restes à Saint-Jore, n’est-ce pas ?

— Je vous demande pardon, Philippe, mais il faut que cela soit, c’est juste.

Sa rage fut telle que je me préparai à une nouvelle attaque. Mais il réussit à se contenir.

— Soit, viens.

Il me précéda le long du couloir en me faisant signe d’assourdir le bruit de mes pas, par crainte des domestiques. Lui, il n’avançait qu’avec les plus grandes précautions, ce qui l’obligeait à prendre, alternativement sur un pied et sur l’autre, des attitudes d’équilibriste. C’était ridicule et navrant, et j’en eus honte pour moi plus encore que pour lui. Quelle humiliation je lui imposais par mon entêtement de bonheur, et à quel prix lui vendais-je