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L’ENTHOUSIASME

Nous sommes restés là longtemps, l’un et l’autre immobiles, l’un et l’autre impuissants à supprimer à le frêle obstacle qui nous divisait. Nous le voulions de toute l’ardeur de notre amour et de toute notre révolte, et les scrupules qui m’enchaînaient depuis plusieurs jours avaient bien peu de consistance, et Geneviève était bien soumise à ma volonté, et nous nous aimions autant que l’on peut s’aimer. Pourtant la mince cloison était plus forte que nous. Des éléments invisibles la rendaient aussi dure qu’une porte de fer. Nos ongles pouvaient y saigner et nos désirs l’ébranler, elle ne céderait pas. Elle était de celles contre qui se brise le bonheur.

La vie nous séparait, j’en avais la sensation palpable. Après le jugement de ma conscience, c’étaient les choses qui me prouvaient le désaccord de nos destinées.

Je pleurai silencieusement. Mes larmes coulaient sur le seuil de sa chambre, et ma bouche s’y attachait. Geneviève pleurait, elle aussi.

…Un bruit de pas, une clarté subite, puis la vision de Philippe s’abattant sur moi… l’obscurité dans le couloir et, par terre, contre la porte, une lutte brutale, acharnée… mes bras se raidissent, son corps m’étouffe, un gémissement rauque s’échappe de son gosier… Il me tient à la gorge… un moment je résiste, et puis soudain, je m’abandonne… Qu’il m’écrase, qu’il me tue… cela m’est égal…

Son étreinte s’est desserrée. Je ne l’entends plus,