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L’ENTHOUSIASME

vaincre, je m’arrêtais devant cet obstacle si fragile. Les gens ne se présentaient plus comme mes ennemis, mais comme autant d’êtres décrivant autour de moi des lignes qu’il ne m’était pas permis de franchir. Selon l’expression de mère, chacun d’eux se trouvait au centre d’un cercle qui ne tendait qu’à s’élargir et qui n’avait d’autres limites dans l’espace que l’expansion de chacun. Ces limites, le rôle de la conscience est de les discerner, et le sens du bonheur consiste à ne pouvoir être heureux qu’autant que l’on n’empiète point sur le bonheur des autres.

J’éprouvai du respect pour eux tous. Ils ne valaient pas moins que moi. Que signifiait la petite supériorité de cœur ou d’esprit que je m’arrogeais jusqu’ici ? Un peu plus de tolérance, un peu plus de générosité, un peu plus d’enthousiasme, un peu plus d’idéal, ce sont des différences si minimes en comparaison de l’énorme bonté qui devrait nous soulever ! On est ce que l’on peut, et ce que nous sommes ne change rien à nos droits. D’ailleurs les plus impassibles ne sont-ils pas capables d’héroïsme et d’abnégation ?

— Aimons-nous, avais-je envie de leur dire, je vous respecte en l’honneur de mère qui est des vôtres, et qui m’a montré à quelle hauteur la tendresse et le chagrin peuvent élever une âme que son passé n’avait habituée qu’aux devoirs les plus ordinaires, et je respecte vos préjugés parce que mère les partage, elle si honnête et si grave. Et puis