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L’ENTHOUSIASME

tincts, m’ordonnait le sacrifice, et je n’essayais pas de ne point l’entendre. Formée librement, celle-là, au cours de mes épreuves et de mes joies, avec la substance des événements, avec la notion de mes erreurs et l’intuition de mes qualités, elle n’était pas la voix insipide qui articule mécaniquement des arrêts immuables. Elle était ma voix elle-même. Elle usait de mon langage et de mes arguments, et je l’écoutais comme une personne amie.

— N’emmène pas Geneviève, Pascal, tu n’en as pas le droit.

Et c’étaient ainsi des rêveries silencieuses, se dénouant en sanglots :

— Ma chérie, mon aimée, tout est fini, nous n’avons pas le droit.

La veille du dernier jour, un peu de résignation se mêla pourtant à ma détresse. C’est un piège de notre nature que cette émotion faite d’orgueil et de pureté que le sacrifice éveille en nous, mais c’est aussi l’unique compensation. La souffrance adoucit elle-même les blessures qu’elle nous cause… sinon pourrions-nous tant souffrir ?

Je me promenai dans les rues, très calme et très triste, sans aucune de ces pensées de lutte, de triomphe et de déroute, qui m’obsédaient jadis. Le monde avait combattu pour ses préjugés, moi pour mon bonheur, et je n’aurais su dire qui l’emportait, puisque, n’ayant pas accepté sa domination, je me heurtais cependant aux principes qu’il avait élevés dans l’âme de Geneviève, et puisque, pouvant les