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L’ENTHOUSIASME

noncer qui me tenterait jusqu’au dernier moment, Certes, après tant de vains assauts, tant de victoires infructueuses sur la ville, sur Philippe, sur mère, sur Berthe, sur Geneviève elle-même, après tant de désastres, une extrême fatigue m’inclinait à l’abandon et supprimait en partie la violence du combat. Mais qu’une image se dessinât en moi, qu’un nom s’évoquât, que des souvenirs de baisers fissent frémir mes lèvres, et la perspective d’un effort suprême me semblait sur-le-champ aussi simple que si je n’avais jamais échoué.

— Elle m’attend, me disais-je, une ruse quelconque attirera Philippe dehors, j’entre, je monte, elle est là. « Viens, ma chérie… » elle se lève et nous partons.

Je n’en avais pas le droit.

Quand le cerveau est las, les mots prennent une valeur exceptionnelle, et nous nous y attachons comme à des protecteurs ou les repoussons comme des ennemis. Parler de renoncement m’était odieux, j’éprouvais au contraire un grand calme à énoncer cette formule : « Je n’ai pas le droit. » Cela contenait tout et me dispensait de réfléchir.

El je me suis traîné le long des heures, ployant sous cette lourde idée du devoir qui pesait sur moi. Si je me refusais à la raisonner, du moins avais-je la sensation de tout ce qu’elle représente par instants de formidable et de solennel. Dans l’ombre et dans le tumulte, cette chose mystérieuse qu’est la conscience, si troublante quand elle s’oppose à nos ins-