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L’ENTHOUSIASME

moi, Pascal, ce sont nos deux destinées qui allaient à l’encontre l’une de l’autre. La plus forte a vaincu, je ne me plains pas. De même, si tu t’es attiré la colère des gens, c’est moins ta faute que celle du milieu où tu es né. Je ne dis pas que les plus intelligents et les plus rebelles aux idées étroites de la province ne puissent y vivre sans choquer l’opinion, mais alors ils doivent vivre à l’écart, ou bien, s’ils se mêlent à la vie des autres, se taire et dissimuler. Ce n’était pas dans ta nature. Tu brûles toujours de te montrer tel que tu es, de dire ce que tu penses, et de manifester ton enthousiasme par tous les moyens. Or la province est ennemie de l’enthousiasme, elle trouve cela déplacé, ridicule et dangereux. En outre ce n’est pas par des idées seulement que ton indépendance s’est affirmée, c’est par des actes. Aimant de toute ton âme et te croyant aimé, il a fallu que tu agisses : dans une petite ville, le conflit était inévitable. Le monde défend ses traditions et ses règles, il a raison. Toi, tu as défendu ton amour, ton bonheur, ton existence… je ne sais pas comment te le reprocher… Cependant… Cependant…

— Peut-être, lui dis-je, exprimant sa pensée hésitante, peut-être les ai-je défendus avec trop de brutalité, on oublie trop que l’on n’est pas seul au monde, qu’il y a des êtres qui existent comme vous, et qui sont, eux aussi, capables d’être heureux et malheureux. Notre droit au bonheur, je commence à le sentir, est limité par le droit des autres.