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L’ENTHOUSIASME

naître ce que tu vaux réellement, ils te jugent d’après ce qu’ils voient ou d’après ce qu’ils croient voir… Mais, moi, de quoi m’accuse-t-on, moi, qui me plaignais ouvertement de ta conduite ? Pourquoi s’en prendre à moi ? pourquoi des lettres anonymes sur ta sœur ? C’est infâme.

Elle disait cela, elle, si rigide et si tenace en ses vénérations. J’aurais voulu, pour l’égaler, renier à mon tour celles de mes idées qui la chagrinaient, et me soumettre à celles de ses convictions dont je m’étais éloigné. Comme elle avait dû souffrir pour parler ainsi ! Elle m’apparaissait sous un aspect de noblesse et de sérénité qui me déconcertait. Elle s’exprimait autrement, en un langage nouveau qu’elle n’eût pas employé jadis. Son âme s’était ouverte, son intelligence s’était élargie. Ah ! qui de nous deux avait évolué le plus vite vers plus de simplicité et vers plus de lumière !

— Voilà ta vie brisée, lui dis-je, tu vas quitter la ville où tu as vécu et rompre avec tout ton passé. Que de mal je t’ai fait ! Pourtant je ne me sens pas coupable.

— On peut faire du mal et n’être pas coupable. Tu n’as jamais obéi à rien de vil, tu as toujours été de bonne foi avec toi-même, aimant sincèrement, ne blessant les autres qu’à ton insu ou contre ton gré. Tu n’as pas d’orgueil ni de mauvaise volonté, tu cherches loyalement tes torts et tu les avoues sans fausse honte. N’aie pas de remords envers