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L’ENTHOUSIASME

minel. Plus tu agissais à l’encontre des principes qui me dirigent et que l’on t’a enseignés, à l’encontre aussi de tout ce que je sais de ton esprit juste, de ta nature douce et au fond timide, plus j’avais l’impression de quelque chose… de quelque chose que j’ignore… Ton existence si régulière en dehors de Geneviève, ton voyage dans le midi, la volonté qu’il t’a fallu, à toi, pour rester là-bas, tout cela me troublait. Et puis, ce projet de fuite a achevé de m’éclairer, j’ai eu la révélation de l’amour.

Sa voix se fit plus sourde, elle rougit, du moins me l’imaginai-je.

— Que veux-tu, j’ai vécu la vie d’une petite bourgeoise, moi, j’ai aimé ton père en toute simplicité, mais était-ce ce qu’on appelle l’amour ? Ce n’était pas comme toi, je m’en rends compte… L’amour, je le connaissais par les romans, et j’y croyais tout au plus comme à une aventure réservée à certains êtres d’un monde différent du nôtre, d’une espèce particulière. Mais l’autre matin, quand j’ai vu Geneviève, cette petite Geneviève qui a grandi sous mes yeux… Oh ! elle était pâle comme une morte, elle ne tenait pas debout en se préparant à cette fuite qui l’épouvante, et pourtant quelle résistance j’ai trouvée en elle ! Chaque fois que je prononçais ton nom, elle tressaillait de joie… Et toi, à la gare, l’expression de ta figure quand tu as su… ta détresse, cet air de martyr…

Penchée sur mon fauteuil, le visage animé, elle