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L’ENTHOUSIASME

et ce geste serait le commencement de notre vie.

Je pris les deux billets. Le billet de Geneviève ! Quelle émotion me causa ce morceau de carton, signe d’affranchissement, contrat d’union et de félicité ! Je le tournais entre mes doigts. J’aurais embrassé le nom de ce village lointain où il nous conduirait comme un talisman.

Quarante minutes avant l’heure, le train se formait. Je marquai nos deux places. Nos deux places ! l’une près de l’autre ! et toujours il en serait de même, et personne ne se mettrait entre nous ! Tous ces petits détails d’intimité m’attendrissaient, et l’avenir qui s’évoquait alors en visions fascinantes, c’était cela, une infinité de petits détails attendrissants qui formeraient le langage de notre bonheur.

Encore trente minutes. Geneviève est en route, pensai-je, la gare est loin, elle viendra en voiture, et le plus tard possible, afin de n’être pas aperçue des voyageurs.

Moi, peu disposé aux précautions, je choisis le meilleur poste, sous le péristyle. L’omnibus arriva. Des gens défilèrent, un à un, par groupes.

Je ne regardais pas, et pourtant, jusqu’à ce que mon cerveau ne soit plus qu’une masse inerte, je me souviendrai de tous ceux que j’ai vus en ces minutes solennelles, de leurs physionomies, de leur marche, de leurs particularités. Il y eut un paysan dont les jambes grêles se démenaient, sous la rondeur empesée de sa blouse, comme des battants de