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L’ENTHOUSIASME

qu’un s’avisait de me relancer au fond de cette mansarde ? J’en barricadai la porte et ne remuai point de mon lit.

Mais la lune entrait, autre source de tourments. Le ciel serait-il aussi pur, le lendemain ? C’était d’une importance énorme, car, autant pour dépister toute recherche que pour donner à notre première nuit des sensations de beauté et de mystère, j’avais résolu de prendre à l’embranchement de la ligne principale, le train de Granville et non celui de Paris. De la sorte, nous serions le soir au Mont-Saint-Michel, et j’imaginais le glissement de notre barque autour des remparts, sous la clarté bleue de la lune, puis, sur le balcon de notre chambre, avant les caresses nuptiales, le frisson de nos corps et de nos âmes en face de l’immensité lumineuse. Or, des nuages, du vent, un peu de pluie, et ces joies premières dont le retour était impossible, ces joies incomparables, surhumaines, seraient perdues !

D’un bond, le matin, je fus à la fenêtre : le soleil, déjà haut, brillait dans un ciel magnifique. Ah ! des mots de remerciement surgirent de mon cœur.

En plein jour, les méchants ne conspirent point, les malices du sort sont plus faciles à déjouer : mes craintes s’évanouirent. Plus que quelques heures ! J’en comblai le vide en écrivant à mère une lettre qu’il me fallut recommencer vingt fois pour en atténuer l’exaltation inconvenante. La concierge m’apporta mon déjeuner. Je réglai son compte. Plus que deux heures !…