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L’ENTHOUSIASME

primée ? Que faire ?… Hélas ! il n’y a pas de conseil possible… tes doutes doivent être aussi atroces que les miens… N’importe ! n’oublie pas que, jusqu’à la dernière minute, un mot, un seul mot, suffira pour que je refuse… »

Ce mot, je ne l’ai pas dit. Ma destinée se jouait en même temps que celle de Claire. Le drame était le même, drame d’angoisse et d’hésitation, le plus affreux de tous. Comment secourir quand un secours m’eût été si précieux ?

Il y avait aux environs de ma demeure un vallon solitaire et charmant, le Vallon des fleurs. Je connais chacune des routes qui s’y croisent, chacun des sentiers qui mènent sur les collines avoisinantes, dans les bois de pins et de chênes. Il me semblait que j’y cherchais une réponse au problème de ma vie. Telle place d’ombre au pied d’un platane serait l’endroit où je me déciderais, tel horizon m’inspirerait une méditation efficace et féconde. Et je marchais, et je n’asseyais, et je repartais en quête de certitude. Inexplicable besoin que nous avons de nous torturer, comme si nous n’obéissions pas toujours à des forces sur lesquelles notre action est insuffisante ! Est-ce que le plan de ma conduite ne s’était pas, irrévocablement et jusqu’en ses moindres lignes, dessiné de lui-même le soir du scandale ? Pouvais-je m’y soustraire ? Que ma sœur s’effarât au bord d’un avenir où elle ne voyait que désolation, c’était naturel ; mais moi, l’avenir qui s’ouvrait à mes yeux, ne rêvais-je point