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L’ENTHOUSIASME

faire des grimaces. J’étais ivre de joie. La conduite de Geneviève m’exaltait comme la preuve d’attachement la plus éclatante qu’elle m’eût encore donnée. Elle, ma faible Geneviève, ainsi secouée par un coup de passion, et, devant Saint-Jore consterné, se révoltant contre le maître ! Oh ! les prodiges de l’amour ! Il avait dépouillé la passive créature de ses terreurs héréditaires et fait, pour une minute, de l’épouse servile et rusée une amante libre et hardie.

Elle vint le lendemain. Je me jetai à ses pieds.

— Tu ne m’’aimais pas, Geneviève, tu m’aimes seulement depuis hier.

Durant deux semaines, l’orgueil de son acte la maintint au-dessus d’elle-même. Quatre fois elle franchit le seuil de la chambre. Elle souriait presque, de tout son joli visage qui s’efforçait d’être vaillant, et, pour trouver un signe d’appréhension, je devais, ouvrant son corsage et dénudant sa poitrine, baiser sous la chair tiède son pauvre cœur qui battait.

Il n’y eut pas, en ces heures que je ne puis me rappeler sans une émotion poignante, il n’y eut pas un instant qui ne fût le résumé d’une existence de béatitude. Cette lamentable chose qu’était notre amour, cette chose haïe, persécutée, soumise à toutes les vicissitudes et cernée de toutes parts, me donnait des sensations continuelles d’éternité, et mon âme en adoration forçait mes genoux à ployer incessamment devant Geneviève. Pourtant je savais que la