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L’ENTHOUSIASME

Dans la situation où je me trouve, pensais-je, que ce soit par ma faute ou par la faute des événements, il n’y a pas moyen d’éviter les sottises. J’aime une femme que je n’ai pas le droit d’aimer, tout le monde le sait, et tout le monde se constitue mon juge et mon adversaire. Comment ne point perdre patience ?

L’histoire fut considérablement grossie. Mère en subit le contre-coup : on lui battit froid. Un soir, rentrant de visite, elle ne m’embrassa pas.

Il faut l’avouer, malgré ma détresse, Geneviève m’eût consolé de tout, mais je ne la voyais plus. Que se passait-il entre elle et Philippe ? Était-ce un ordre de son mari ou la peur qui l’enfermait dans sa chambre ?

J’élus domicile en deux ou trois endroits de Saint-Jore qui m’avaient particulièrement favorisé jusqu’ici. J’avais l’air de ces mendiants qui choisissent les bonnes places, et dont la silhouette finit par s’incorporer au cadre où ils se nichent. Comme eux j’implorais du sort la grâce d’une aumône, le regard à l’affût, prêt à bondir sur les personnes qui paraissaient au coin des rues. Geneviève ? Non. Je le croyais parfois, et ces alternatives de petites espérances et de grands désespoirs me mettaient au supplice.

Le dénouement était proche. Je me disais même, avec un frisson mortel :

— Le dénouement ? mais le voilà ! tout est dénoué, c’est fini.