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L’ENTHOUSIASME

pas seule dans les rues de Saint-Jore maintenant ?

— Soit, mais le reste, les calomnies ignobles ? pourquoi nous salir au hasard ?

— Eh ! mon pauvre ami, tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même. Tu as méprisé l’opinion du monde, tant pis si le monde s’obstine à voir en mal tout ce que tu fais… D’ailleurs que t’importe ?

— Il n’y a pas que moi, lui répondis-je, il y a Claire, il y a Catherine. Et puis l’irritant est qu’on ne sait jamais d’où vient la calomnie… Ah ! si je savais !

Le soir, j’allai au Cercle pour la première fois depuis que l’animosité publique s’était dessinée si vigoureusement. Je m’attendais à ce que mon arrivée produisit quelque émoi, tellement les circonstances indiquaient une surexcitation des esprits. Mais le monde se courbe à des lois d’hypocrisie qui ne lui permettent pas l’attaque directe. Des nuances de froideur ou d’embarras, une tendance à fuir mes yeux afin de ne pas me fournir le prétexte d’un entretien, la crainte sourde chez mes anciens camarades de se compromettre en ma société, somme toute rien de nouveau, Je fus déçu. Un conflit m’eût soulagé.

Ils continuaient à jouer aux cartes, au billard, au jacquet, aux dominos, et j’avais envie de les assembler tous devant moi et de leur crier :

— Soyez francs, qu’est-ce que vous me reprochez ? voyons, toi, le vieux qui as passé quarante années à tripoter des cartes, le derrière sur un