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L’ENTHOUSIASME

de bras tendus qui me tenaient à l’écart, je l’éprouvais mille fois plus profondément depuis que la force aveugle était devenue une volonté perspicace et consciente. Des mains réelles me barraient la route. On m’espionnait réellement. On s’ingéniait à déduire mes actes les uns des autres. Tel boutiquier notait mon passage à telle heure devant sa vitrine et en référait à tel de ses clients. J’ai vu des indifférents, de ceux dont on se demande en vain quel intérêt ils ont à connaître seulement votre nom, se détourner de leurs affaires pour se documenter sur les miennes. J’ai vu de braves bourgeois se pencher à l’oreille de leurs interlocuteurs, comme en l’honneur d’une célébrité locale ou d’un criminel avéré. J’ai vu des ombres dans le sillage de mes pas.

À travers toutes ces embuscades, comment me rapprocher de Geneviève sans attirer l’attention, alors que Geneviève, par crainte de ces périls que son imagination de femme amplifiait jusqu’à l’invraisemblance, et par terreur des soupçons de plus en plus évidents qui travaillaient Philippe, se dérobait à mes recherches ? Je ne le pouvais qu’en accumulant les tentatives imprudentes, et chacune d’elles, étant fatalement découverte et interprétée comme un nouvel effort vers un but que personne n’ignorait, constituait de ma part un aveu, autant dire un défi à l’opinion irritée.

Je n’osais plus me montrer aux abords du dépôt : il me semblait que les pavés des trottoirs, que les