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L’ENTHOUSIASME

Oui, peut-être avais-je contribué à une éclosion plus facile et plus précoce, mais, en vérité, elle était de ces terres qui germent spontanément sans que la main de l’homme ait besoin de les ensemencer. Ce qu’elle pensait, elle l’eût pensé par elle-même, et elle n’avait rien accepté de moi qui ne la satisfît pleinement.

Toujours avec un malaise confus, comme si je commettais une vilaine action, mais aussi avec la certitude joyeuse d’accomplir un devoir, j’élucidai les points qui restaient obscurs pour cet esprit si neuf encore. Grâce au système des petites cachotteries destinées à conserver à la jeune fille une innocence morale qui n’a aucune signification, les réalités de l’amour et de la vie lui étaient inconnues. Je les lui exposai sans faux-fuyant. Toutes ses questions obtinrent des réponses catégoriques. Elle sut ce qu’il faut que l’on sache sous peine de faiblesse et de piétinement.

D’autres soirées de même enthousiasme suivirent cette première rencontre de nos âmes. On renonce difficilement à l’image que l’on se fait des autres, surtout si elle est conforme à un type convenu, mais, ma stupeur dissipée, mes préjugés vaincus, et dès que je concédai à Claire le droit d’être ce qu’elle était, notre intimité fut délicieuse. Je lui contai mon amour, elle m’initia à ses espoirs. Comment avait-on pu l’accuser de défiance ? Avide autant que moi de s’épancher, elle y mettait, n’ayant pas subi l’obligation du mensonge, une probité