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L’ENTHOUSIASME

— Quelles sont tes opinions ?

Elle sourit.

— Les tiennes… jusqu’à présent.

Pourquoi ne les aurait-elle pas eues ? Les avais-je jamais dissimulées ? Pensais-je à ce que pourraient produire mes paroles, tombées dans ce jeune cerveau ? N’avait-elle pas été le témoin et le complice de mon amour ? Enfin n’étais-je point responsable de tout ?

La révélation de mon œuvre me fut pénible, et pourtant… pourtant une sorte de fierté se levait en moi. Il est si doux d’exercer une influence ! Le fait seul que quelqu’un adopte nos idées les consacre à nos yeux. Funestes peut-être, elles furent du moins fécondes. Et puis, que valent les opinions ! Ce qui importe, c’est la nature qui les accueille et qui, elle, est bonne ou mauvaise, noble ou médiocre ; ce qui est essentiel, c’est le rapport qui s’établit entre nos instincts et la vie, entre notre sensibilité et notre conduite. Quelle était la nature de Claire ? Sur quoi mon influence avait-elle agi ?

Toute la nuit se prolongea notre causerie fiévreuse, nuit mémorable pour elle et pour moi, heures considérables, dont je n’oublierai pas l’amertume — car chacune de ses paroles me blessait — et non plus le charme infini, car ma fierté croissait en proportion de la part que j’avais prise à son développement, et le sentiment de ma responsabilité s’allégeait de tout ce que je découvrais en elle de force primitive et de valeur personnelle.