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L’ENTHOUSIASME

je marche, en somme un murmure intermittent et lointain. De temps à autre, cela balbutie, forme des ébauches de mots, essaye péniblement de se forger un langage avec des matériaux empruntés de droite et de gauche. Mais, comme principe de direction, est-ce suffisant ? Mère a vu juste : ma conscience résulte du cri individuel de chacun de mes instincts. Ils sont mes chefs, je les suis aveuglément, je vais au hasard des commandements qui se croisent dans le mystère de mes organes et de mon cerveau. Si la destinée propice ne m’avait point favorisé de bons instincts, que fussé-je devenu ?…

Oh ! comme je compris à quel point un guide avait manqué à mes premiers pas ! Il ne faut personne pour nous aider à détruire, mais un secours est indispensable à qui veut rebâtir. Ayant renversé tous les obstacles qui nous maintiennent si commodément dans le chemin ordinaire, j’aurais eu besoin que l’on me désignât les écueils de ma route personnelle, jusqu’à ce que mes yeux les eussent discernés par eux-mêmes. Pas une parole intelligente ne m’avait dirigé. Mes livres ? Les convictions acquises ? les systèmes élaborés ? quels pauvres auxiliaires ! Est-ce que mes actes s’accordaient jamais avec mes idées ? N’avais-je point un exemple humiliant de ces contradictions dans la peine que m’infligeait l’aventure de Claire ? Moi qui me targuais de mon indépendance, moi, l’affranchi, rebelle aux façons communes d’envisager les