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L’ENTHOUSIASME

Je me rappelle : je descends à la station qui précède Bellefeuille, je marche quelques minutes, puis je me couche au rebord d’un talus, en répétant la phrase que mère avait prononcée :

— Es-tu bien sûr de ne pas te tromper, Pascal, et que la route que tu suis est la bonne ?

Et voici que se dégage de l’amas de faits et de combinaisons sous quoi, depuis deux jours, je l’ai enseveli, le souvenir de Claire et de la nuit anxieuse que j’ai passée après ma découverte. Si le remords d’avoir dénoncé Philippe à Geneviève et préparé pour elle une arme contre son mari, fut si spontané, c’est qu’il germa dans une âme déjà mécontente. Il ne m’avait point fallu un grand effort de loyauté pour apercevoir combien j’étais responsable envers Claire. Mes théories, mes allures et mes discours de révolté, mon exemple, les missions dont je la chargeais auprès de ma maîtresse, toutes ces causes démoralisantes s’étaient présentées si soudainement à mon esprit que j’avais reculé devant une explication, tellement toute réprimande me paraissait mieux appropriée à moi-même. Elle aussi s’en remettait au conseil de ses instincts et obéissait à ce que mère eût appelé son bon plaisir. Qu’avais-je à récriminer ?

Tous les détails de cette heure douloureuse me sont familiers. Le ciel est gris. Des saules se hérissent au-dessus de moi. Un martin-pêcheur joue sur une mare voisine. Et je pense à la situation équivoque où je me trouve, au mal que j’accomplis à