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L’ENTHOUSIASME

Un samedi, comme je me dirigeais vers la gare de Bellefeuille, mère accourut, une dépêche à la main.

— Philippe ne vient pas, j’ai trouvé ce télégramme à la direction.

— Eh bien quoi ?

— Comment, quoi ? tu vas quand même…

Je compris. Elle avait noté la régularité de mes voyages le samedi, jour que Philippe passait à Bellefeuille, et Philippe ne venant pas, elle s’effrayait de ce changement d’habitude. Ma pauvre mère ! Le papier tremblait entre ses doigts. Je fus sur le point de céder. Mais Geneviève ?

Je saisis la main glacée.

— Je te demande pardon du fond du cœur, et je te demanderai pardon souvent encore, car je ne peux pas ne pas te faire souffrir… Je suis horriblement cruel avec toi, mais ce n’est pas de ma faute… non, il faut que j’agisse ainsi. Écoute, là-bas, ce qui m’attend, c’est du bonheur, un bonheur surnaturel, illimité, infini, qui est à moi peut-être pour très peu de temps et que je ne retrouverai plus… Et tu veux que j’y renonce ? En admettant que ce soit mon devoir, c’est au-dessus de mes forces… même pour une fois, pour une seule fois… Et cependant je t’aime bien, mère.

Une sonnerie annonça l’approche du train. Je partis. Elle me rappela :

— Moi aussi, je t’aime bien, Pascal… Embrassons-nous.