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L’ENTHOUSIASME

vrer les trésors de sa gorge et que ma main touchait à sa chair sacrée, je sais que le frisson de la volupté remontait aux sources les plus lointaines de mon être, qu’il y avait entre nous d’ardents désirs, des caresses profondes, des larmes, de l’emportement, de la folie. Mais mon souvenir n’en est pas moins celui d’une contemplation muette et calme. Je la possédais avec une âme religieuse. Mon bon Dieu Geneviève, comme je l’appelais.

Est-ce pour cela qu’il me serait impossible de donner une idée quelconque de son caractère ? Entre la petite bourgeoise que mon enfance a connue et cette sorte de divinité qui se livrait à moi, je conçois difficilement la véritable Geneviève, c’est-à-dire, à ce que je suppose, une femme aimante dont les croyances se sont désagrégées au souffle de la passion, et qui m’a sacrifié des devoirs auxquels son éducation et ses instincts l’avaient fortement attachée. Les détails de ce combat, les révoltes et les remords, les espoirs et les découragements qui l’ont soutenue ou entravée, ses goûts, ses habitudes, son humeur ordinaire, ses défauts et ses qualités, je les ignore. En tant d’années de sincère amour, constatation mélancolique, nous n’avons pas eu le loisir de faire connaissance. Au Clos Guillaume, une demi-douzaine d’entrevues employées à la convaincre, puis, dans notre refuge, des rendez-vous espacés où nous ne songions qu’à nous prendre, voilà tout ce que j’ai pu arracher à l’âpre vie de la province.