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L’ENTHOUSIASME

Quelles sources inépuisables d’enthousiasme dans les livres que nous aimons, dans tous les livres ! Le rythme des phrases vous berce, les idées vous pénètrent, on a cette impression délicieuse que telle beauté renaît pour vous seul, et que c’est une découverte qui vous appartient en propre. Cela dormait entre les pages fermées d’un volume de Montaigne ou de Pascal, nul ne le connaissait, et notre intervention le sauve de l’oubli.

— Claire, appelais-je d’un bout à l’autre de la maison, viens vite… assieds-toi… écoute… hein ? est-ce admirable ?… Et ceci ?

Claire fut la compagne de ces mois merveilleux et la confidente d’une félicité dont il ne m’était pas nécessaire de lui dire la cause pour qu’elle en saisit les moindres effets. Mon bonheur respira devant elle comme un être qu’anime une vie large et puissante. Nous faisions de longues promenades après le déjeuner, montant de préférence sur le plateau boisé qu’entoure la boucle de l’Orne. Les jours de neige nous ravissaient, et la splendeur des horizons blancs remuait notre âme sincère. La mélancolie de la pluie nous plaisait également. Au printemps, nous vîmes avec émotion les premières feuilles s’essayer à la pointe des arbres.

Nous parlions beaucoup, et, presque toujours de moi ou de ce qui me préoccupait spécialement, Claire ne m’intéressant encore que par l’extrême déférence qu’elle accordait à mes discours de frère aîné.

— Regarde Saint-Jore à nos pieds… on a eu beau