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L’ENTHOUSIASME

torts envers moi et remis les choses en leur ordre naturel.

Une charrette emplie de bagages m’annonça le retour de mère. Je souris à la maison familiale, aux fenêtres d’où j’épiais autrefois le passage de Geneviève, à la porte si souvent refermée sur mon désespoir. Claire me dit :

— On vient d’envoyer un mot à Mme Darzas, la priant d’être chez elle après déjeuner.

Au même instant mère entra dans la pièce où nous nous tenions. J’allai vers elle, les bras tendus, mais il y eut ceci d’étrange qu’à mon aspect elle s’arrêta court, me regarda un moment avec anxiété, et fondit en larmes : elle avait deviné.

Je ne songeai même pas à me défendre ; j’étais stupéfait, honteux de moi comme une personne qui accourt vers une autre pour l’embrasser et qui la blesse involontairement. Je n’osais bouger ni parler, par crainte d’une nouvelle maladresse, et, longtemps, sous mes yeux, elle pleura.

Elle pleurait l’avortement de ses efforts, l’opprobre de son fils, la tache imprimée à notre nom, le déshonneur de la famille, le scandale prochain ; et, une fois encore, mais avec d’autant plus d’intensité que le contraste s’affirmait davantage, je pouvais voir l’envers de mon bonheur. Il était fait de mes espoirs comblés et de ses illusions détruites, de mon triomphe et de sa défaite, et il ne subsisterait qu’en offensant ses croyances les plus sacrées et ses préjugés les plus légitimes. Me faudrait-il un jour