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L’ENTHOUSIASME

fut déserte une minute. Et soudain je la vis.

Elle venait du centre de la ville et se dirigeait vers sa maison. On aurait dit que son instinct de femme flairait le péril et lui conseillait de rentrer avant que l’ombre s’épaissit, car elle marchait en hâte, de cette allure inquiète que j’avais si souvent remarquée. Elle suivait le trottoir où je me cachais. Elle arriva à l’extrémité du mur de l’hôtel. Elle longea ce mur. Une crainte horrible m’étreignit : aurais-je la force de m’avancer ? Mes jambes défaillaient. Et puis des personnes sortirent de l’église et l’on y voyait encore un peu.

Geneviève passa. Et elle n’avait point fait dix pas que tout à coup elle sauta du trottoir et se mit à courir. Elle m’avait reconnu ! et elle courait vers le porche où stationnait un groupe de prêtres. Ma main l’arrêta, brutale. Elle étouffa un cri.

— Pas un mot, Geneviève, ne résiste pas, je suis décidé à tout.

Elle se débattit pourtant, mais je lui tordais le bras de mes doigts implacables, et elle céda.

J’eus une seconde d’ivresse folle, je la tenais ! Rien ne pouvait désormais m’arracher la proie que je tenais, là, sous ma main crispée. Ensemble, moi la traînant comme une captive, nous franchîmes la place, ensemble la moitié de la ville. Une joie de triomphateur me redressait la tête, mes pieds frappaient le pavé, et des clameurs de victoire retentissaient en ma poitrine. Comment avais-je douté de mon énergie ? Mais ma puissance était surhumaine !