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L’ENTHOUSIASME

Au déclin du jour, le train où j’avais pris place débouchait des hauteurs qui avoisinent Saint-Jore. Parmi les clartés des réverbères, se développa la masse étalée de la ville. Mon cœur se contracta. Voilà que j’accourais encore à la conquête de Geneviève !

J’eus conscience de ma faiblesse et, par là, de notre faiblesse à tous dans l’œuvre de notre bonheur. Chacun aussi, même le plus humble et le plus solitaire, a contre soi la foule jalouse, l’hostilité de ceux qui le connaissent, la malveillance des indifférents, la multitude invincible des usages et des conventions. N’y a-t-il donc qu’un seul bonheur à partager entre cent personnes, et ne peut-on être heureux sans l’être au détriment de quelqu’un ?

En gare, je m’affublai d’une casquette et d’une vieille pèlerine dont le col relevé me cachait la figure, et, ma valise sur l’épaule, je gagnai la chambre de la rue des Arbustes. J’y dinai, j’y dormis. Le lendemain, à la nuit tombante, j’en sortais, accoutré comme la veille.

La route rationnelle que devait suivre Mme Darzas dans ses courses, soit à l’aller, soit au retour, traverse une grande place que domine une église. Je m’établis là, sous la porte cochère d’un hôtel inhabité, Pendant deux heures, passèrent des hommes, des femmes, de vieilles dévotes surtout, que le porche de l’église avalait et rendait comme un trou de fourmilière. Mais Geneviève ne passa