Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
L’ENTHOUSIASME

ces retraites délicieuses que l’on est sûr de trouver en chaque ville. Il n’y a jamais personne où la beauté d’un spectacle ne s’adresse qu’à notre âme.

— Je n’ai pas peur ici, déclara Geneviève.

Tout de suite je risquai :

— Il n’y a pas plus de raison pour avoir peur là-bas, rue des Arbustes.

— Oh ! ce n’est pas la même chose. Que l’on nous découvre ici, rien n’est perdu. Mais là-bas… oh ! là-bas ! quand je me représente dans cette rue, ouvrant cette porte, j’ai les jambes cassées.

— Cependant personne ne le saurait.

— On sait tout, Pascal, on nous observe, on nous épie, j’en suis sûre.

Elle dit cela avec un accent de terreur inexprimable, avec l’appréhension d’un malade qui voit passer des ombres en sa chambre et se gonfler les rideaux de son lit.

— Alors, Geneviève, vous ne serez jamais à moi ?

— Jamais à vous, s’écria-t-elle, en posant vivement ses deux mains sur mon épaule, serait-ce admissible ! Mais je veux me donner, je veux être à toi, mon chéri, je suis à toi, déjà.

Sa voix était ardente maintenant, son geste passionné. Je fus stupéfait.

— Ah ! tu m’aimes comme ça, tu m’aimes comme je t’aime… je ne le croyais plus.

Elle baissa la tête, toute rouge, ayant obéi autant au désir de ses sens qu’à une révolte de son cœur.

— Geneviève, tu le veux… depuis longtemps ?