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L’ENTHOUSIASME

Restaient mes idées. Tout provenait de là.

On disait à Saint-Jore :

— Le fils Devrieux a des idées !

On s’abstenait de les qualifier : il suffit d’en avoir pour qu’elles soient répréhensibles, mais celles-là étaient particulièrement scandaleuses.

— Est-ce possible qu’un garçon bien élevé ait des idées pareilles !

Cet effarement m’étonnait. Il était indéniable que je ne pensais point comme ceux qui m’entouraient, mais n’y avait-il personne au monde qui pensât comme moi ? L’ivresse du début dissipée, je n’ignorais point combien les fameuses idées dont je me faisais naïvement gloire, sont vieilles et répandues. Tous les livres les enseignent. Elles ne confèrent à celui qui les adopte aucune originalité. Elles impliquent simplement le besoin d’un peu d’indépendance et d’honorables soucis de générosité et de pitié. Que d’esprits en sont là ! Que de natures vibrent rien qu’au son de ces paroles ! Et j’écrivis :

« J’ai mal placé mon orgueil, et j’en subis les conséquences. On a le droit d’être fier quand on pense mieux que les autres, mais je l’ai été aussi parce que je pensais autrement que les gens de Saint-Jore. L’opinion du monde est un mobile si puissant que, bien souvent, ceux qui dédaignent d’en tenir compte prouvent l’importance qu’ils y attachent par l’affectation de leur révolte. Il ne faut ni la braver ni la craindre, il faut y être indifférent. Je ne